Titre

La figure du monstre dans l'œuvre de Rabelais

Auteur Philippe SIMON
Directeur /trice Prof. Olivier Pot
Co-directeur(s) /trice(s)
Résumé de la thèse

Ma thèse se donne pour objectif de reprendre un des dossiers majeurs de la critique rabelaisienne : celui du monstrueux. De fait, le bestiaire tératologique occupe une place de choix dans la production romanesque de Rabelais, du Pantagruel au Cinquiesme Livre apocryphe. Cette présence est tout d'abord celle du nombre : de texte en texte, c'est toute une galerie d'êtres ou de manifestations étranges qui peuplent les pages : Quaresmeprenant, les Andouilles, le tarande, le physetere, les oiseaux anthropomorphes de l'Isle sonnante, etc. Ces prodiges divers ne sont pas que des vignettes destinées à pimenter l'expérience de lecture : ils endossent une importance majeure dans l'articulation des récits que Rabelais couche sur le papier – en en endossant l'intrigue générale, Gargantua et Pantagruel font de la geste rabelaisienne une épopée de géants, c'est-à-dire de monstres ; de même, l'odyssée qui mène Panurge vers l'Oracle de la Dive Bouteille est ponctuée par des escales sur des îles aux populations souvent étranges et qui rythment, malgré leur apparente anarchie, l'évolution du récit.

Cette place centrale offerte par Rabelais aux monstres implique que ces derniers sont devenus un des points de cristallisation de la critique rabelaisienne, particulièrement eu égard au type de lecture qu'il convenait de leur appliquer. On retrouvera ici l'antagonisme, déjà relativement ancien, entre les tenants d'un Gérard Defaux (pour qui les prodiges rabelaisiens sont à considérer avant tout comme des vecteurs de la satire et doivent être soumis à une lecture positiviste visant à découvrir le visage de la victime sous le masque du monstre) et ceux d'un Michel Jeanneret, pour qui ces mêmes êtres étranges sont à la fois des propositions poétiques qui se nourrissent de leur effet dérangeant et les témoignages d'une crise de l'interprétation.

J'ai pour ma part choisi de refonder l'étude de la problématique du monstre chez Rabelais en la suivant au plus près du texte, et en lui restituant les modalités de sa manifestation dans celui-ci : lorsque Pantagruel ou Panurge rencontrent un monstre, cette rencontre est donnée sous la forme d'un récit, et est inscrite dans une temporalité soumise à des articulations. C'est cette notion de rencontre avec le monstre qui sous-tend l'entier de mon travail. Dans la trame de la geste, le prodige est souvent d'abord perçu de loin ; les personnages s'en approchent ensuite, ce qui donne lieu à de premières périodes descriptives ou interprétatives ; il peut enfin leur arriver d'entrer en contact avec lui – de parler avec le monstre –, ce qui ouvre sur d'autres possibilités herméneutiques encore.

Ma thèse suit ce parti-pris narratif. Après quelques pages méthodologiques (en particulier sur le lexique de la merveille tel qu'il est utilisé par Rabelais, ainsi que sur les réverbérations, dans son texte, des discours sur le tératologique que la philosophie naturelle a pu tenir), mon enquête s'attache à détailler l'économie de ces rencontres : je m'attarde ainsi sur la part redevable aux théories contemporaines de la perception visuelle dans la mise en scène des premières visions de tel ou tel monstre par tel ou tel personnage ; je m'intéresse également aux modalités de la prise de contact avec ces représentants de l'altérité, tant au niveau de l'attitude rhétorique que des disparités sémantiques ; je consacre enfin de nombreuses pages à analyser la mise en route par les personnages (et la voix narrative) du mouvement interprétatif auquel ils soumettent les monstres, et qui se caractérise par une articulation en deux temps (expression de surprise face à l'étrangeté formelle du monstre, puis tentative d'inscription de cette forme dans un savoir stabilisé).

Car c'est bien là que se situe le noyau de l'expérience rabelaisienne du monstre : comment donner forme (et rendre sens) à ce qui en semble de prime abord dépourvu ? La troisième et dernière partie de ma thèse – et par ailleurs la plus volumineuse – apporte des éléments de réponse. Le premier de ceux-ci a trait à des questions de posture narratoriale – Alcofrybas prenant un malin plaisir à mener son lecteur par le bout du nez lorsqu'il s'agit pour ce dernier de se prononcer sur la vraisemblance « ontologique » de tel ou tel monstre médiatisé par le texte ; dans un deuxième temps (et en faisant un détour par l'histoire de l'art), je retrace le vaste discours contradictoire qui, à la Renaissance, réglemente à la fois la licéité de la représentation du monstre et les modes possibles de cette dernière – où l'on verra que Rabelais s'émancipe largement de l'une et des autres. Les troisième et quatrième chapitres s'attachent quant à eux à analyser le mouvement de l'ekphrasis du monstre (préalable nécessaire à son interprétation par le lecteur) chez Rabelais : au niveau de sa structure compositionnelle tout d'abord – une réflexion sur les parts respectives de la définition et de la description dans le mouvement de représentation me permettant de définir les caractéristiques de la poétique rabelaisienne de l'accumulatio ; au niveau de ses rouages les plus infimes ensuite, que je mets au jour sous les angles successifs de la dénomination, de la description spatiale, des procédures analogiques et métaphoriques, et des ressources intertextuelles.

Ce travail de déconstruction de la poétique rabelaisienne du monstre m'a permis, au final, de préciser et de redéfinir les voies qu'emprunte ici l'herméneutique de ce même monstre : tant au niveau de l'habitus rhétorique que des procédures descriptives, Rabelais met en scène un jeu de pistes, de chausse-trappes, à l'attention de son lecteur, mis en position de juger de la plausibilité de telle ou telle représentation ou de tel ou tel énoncé. La position du lecteur par rapport au texte rabelaisien est ainsi à considérer, par une forme de métalepse, comme un reflet de celle des personnages confrontés aux apparitions étranges qui émaillent le récit. Et c'est par ce biais que le protocole de lecture mis en scène par Rabelais, dans le « Prologue » du Gargantua, au travers de la figure explicitement tératologique du silene, peut être étendu, de l'herméneutique du monstre, à celle du texte.

 

Statut terminé
Délai administratif de soutenance de thèse 2017
URL
LinkedIn
Facebook
Twitter
Xing