Titre

« "Dans la clarté de l’utopie" : Miguel Abensour, Emmanuel Lévinas, Paul Celan, Jacques Derrida entre utopie, poésie et déconstruction de la souveraineté »

Auteur Francesco DEOTTO
Directeur /trice Martin Rueff
Co-directeur(s) /trice(s)
Résumé de la thèse

A partir de l’analyse des ouvrages de plusieurs écrivains et philosophes de la deuxième moitié du vingtième siècle, cette thèse vise à développer une conception détaillée et systématique d’un aspect sous-estimé dans le champ des études utopiques : le rapport entre utopie, poésie et souveraineté. Plus précisément on entend montrer comment, dans le monde contemporain, marqué par l’apparition des totalitarismes, la forme poétique peut – sous des conditions précises – constituer une ressource essentielle pour relancer l’utopie et sa vocation émancipatrice. Cette démonstration conjugue deux mouvements.

Dans un premier temps, il s’agit d’analyser dans les détails les travaux d’un des protagonistes du renouvellement actuel des études sur l’utopie, Miguel Abensour, et de confronter son approche avec celles plus communément utilisées par les spécialistes du domaine utopique (Macherey, Moreau, Mannheim). Abensour a le mérite d’avoir étudié le processus qui peut conduire l’émancipation à se retourner en son contraire, et d’avoir réfléchi sur certaines stratégies utilisées par des utopistes afin d’éviter un tel retournement. En ce sens, les articles où il défend l’exigence de libérer l’utopie du mythe et de la volonté de souveraineté constituent des points de repère neufs et stimulants.

Pour être fidèle à cette exigence, et pour la penser dans toute sa radicalité, il faut toutefois – et c’est le deuxième mouvement de la thèse – la mesurer à la pensée d’autres philosophes pour qui l’utopie reste aux marges de leur pensée, à savoir Emmanuel Lévinas et Jacques Derrida. Abensour a consacré plusieurs textes à Lévinas, mais sans s’arrêter sur un article selon moi déterminant dans lequel Lévinas parle d’utopie à propos des poèmes de Paul Celan. Le nom de Derrida, en revanche, n’apparaît presque jamais dans les écrits d’Abensour, bien qu’il ait développé plusieurs concepts qui peuvent parfaitement être inscrits dans une tradition utopique (comme la notion de « démocratie à venir », celle d’« hospitalité inconditionnelle », ou le projet des « villes refuges »). Et c’est surtout le thème d’une « déconstruction de la souveraineté » qui revient à plusieurs reprises dans le parcours de Derrida, notamment dans ses travaux sur l’écriture de Georges Bataille et – à nouveau – de Paul Celan.

A travers ces auteurs, une constellation nouvelle émerge. Composée par Abensour, Lévinas, Celan et Derrida, cette constellation peut offrir un nouveau cadre de pensée à l’utopie : un cadre dans lequel on trouve pleinement confirmée l’exigence affirmée par Abensour de penser l’utopie sous le signe de la non souveraineté. Mais, et la chose était inattendue, il s’agit aussi d’un cadre dans lequel la poésie joue un rôle décisif.

S’il est vrai qu’Abensour a accordé à de nombreuses occasions une grande attention à certaines caractéristiques formelles d’importants chefs-d’œuvre de l’histoire de l’utopie, comme L’Utopie de Thomas More et News from Nowhere de William Morris, on ne trouve pas des poèmes parmi les œuvres qu’il a commentées de plus près. Et même si parfois le rapport entre utopie et poésie est évoqué dans ses textes, ce rapport n’occupe jamais une place centrale, mais reste à la marge de ses ouvrages.

Chez Celan, Lévinas et Derrida, au contraire, les poèmes et la question de la poésie occupent une place beaucoup plus importante. Ces trois auteurs, en dépit de leurs différences, attribuent à une certaine écriture poétique une dimension ouvertement éthique et politique et cela indépendamment du contenu des poèmes auxquels ils s’intéressent. C’est l’écriture poétique en tant que telle (ou plus précisément une certaine forme d’écriture poétique) qui peut constituer une voie privilégiée pour rencontrer l’autre, pour déconstruire la souveraineté et pour repenser et relancer l’utopie.

Dans le cadre des études sur l’utopie, cette piste, celle du rapport entre poésie et utopie, n’a été que très peu explorée jusqu’à présent, et on peut espérer qu’elle pourra être approfondie et relancée à travers l’étude d’autres poètes et philosophes.

 

Statut terminé
Délai administratif de soutenance de thèse 2022
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